12 juin 2009

2 Pimientistes en Argentine

Vendredi 29 mai, 15h48, mon portable sonne. J’ai une caméra à la main, un gros sac sur l’épaule, un trépied accroché je ne sais où. Je me débrouille pour répondre, c’est Orlando, El Productor, qui m’appelle paniqué pour me demander de lui rapporter les cigares qu’il a oubliés au bureau. Du plaisir en perspective !

24 heures d’aéroports, d’avion, de repas toutes les deux heures, de transit plus tard, nous arrivons à l’hôtel Panamericano de Buenos Aires, face à la Plaza de Mayo et à son obélisque planté en plein centre, petit clin d’oeil à celui de la Place de la Concorde.



Mais que font donc Bachir et Orlando à Buenos Aires? Nous sommes le 30 mai, veille du concours du meilleur sommelier des Amériques. Celle que nous suivons, Véronique Rivest, tignasse blonde et sourire de star, la meilleure sommelière du Canada, espère décrocher la première place et se qualifier pour le mondial des sommeliers, prévu en 2010 au Chili.

Notre objectif: témoigner, enregistrer, mais surtout établir un premier contact entre Véronique et une équipe documentaire.

La première soirée, les participants, venus de pays aussi divers que le Chili, le Brésil, le Canada, l’Argentine, le Pérou, le Venezuela, le Mexique, les États-Unis, sont emmenés en autobus vers un resto branché de la ville. Véronique révise, questionne, explique aux concurrents qui profitent de sa science intarissable. Moi, je ne suis plus Bachir, mais désormais Turco !

Turco et El Productor s’éclipsent vers 10h30 pour aller souper (autant se faire à l’heure argentine tout de suite). Après un asado de tira (côtes de boeuf) et des chinchulines (tripes), arrosés de Malbec, nous fonçons ves une milonga, le Gricel, lieu où les passionnés de tango sortent pour le seul plaisir de danser en couple.
Le coup de foudre.


Ça sent la laque à cheveux, le maquillage pas cher et la matante affectueuse. Ça sent la gomina, le cirage à moustaches. Et ça ressemble à une communion. Nous nous rinçons l’oeil pendant deux heures, à regarder ces couples dont certains ont plus de quatre-vingts ans, nous ne voulons pas partir, nous ne voulons pas que cela s’arrête. Pourtant, à trois heures du matin nous nous transformons en citrouilles.

31 mai, 9h00: la compétition est lancée. Ils sont quinze candidats, ils sont la crème des sommeliers des Amériques et ils sont tous là pour gagner un ticket pour le Mondial. Après une matinée d’épreuves théoriques, viennent les épreuves pratiques. Les candidats doivent démontrer leur savoir faire à un jury impassible, intimidant.

L’un après l’autre, ils défilent et sortent soulagés, mais angoissés de savoir s’ils sont qualifiés en finale. Le soir, tout le monde se retrouve dans la grande salle de conférences de l’hôtel pour un souper de gala animé par des danseurs de tango à des années lumières de ceux de la veille. La jupe est fendue très haut, l’allure est féline, mais le spectacle est apprécié par les convives qui font la fête jusqu’aux petites heures. Il n’y a pas à dire, dans le milieu de la sommellerie, on a une bonne descente !

1er juin: 17h00. Robes de gala, tuxedos, coupes de champagne, flashes, caméras, souliers vernis, gravures de mode et habitués de journaux à potins, c’est l’annonce des finalistes. Pour les faire patienter, on a réuni la crème des producteurs de vin argentin qui invitent qui le veut bien à déguster leurs produits.

Dans le grand théâtre (cet hôtel est vraiment immense) Andrés Rosberg, président de l’association argentine des sommeliers annonce les finalistes. Véronique en fait partie avec Élyse Lambert, une autre Québécoise et Guilherme Corrêa, un Brésilien.

Et la finale a lieu… dans les instants qui suivent, face à ce parterre qui sent le luxe et la passion du vin. Après un tirage au sort, Véronique est la première à se présenter sur scène. Le décor : une salle de restaurant, deux tables avec des convives et une table de dégustation à l’aveugle. Élégante, chaleureuse, Véronique passe les épreuves de service l’une après l’autre et oublie presque la dernière, la correction d’une carte de vins qu’elle effectue en une minute devant un public subjugué, conquis, qui explose en ovation dès qu’elle a fini.
Élyse lui succède, puis Guilherme.

Pendant que le jury délibère, un cocktail est servi. Le suspense est à couper au couteau, tout le monde retient son souffle. Puis le théâtre se remplit à nouveau et Andrés Rosberg annonce les gagnants. Juste avant, Véronique et Élyse, bras dessus bras dessous, décident que la gagnante ne participera pas au championnat canadien pour laisser à l’autre ne chance de se rendre au mondial. Le verdict tombe : Élyse est la championne, Véronique décroche la deuxième place. La déception est palpable chez Véronique, la joie irradie le visage d’Élyse.



Deux jours plus tard, nous nous envolons pour Mendoza, patrie du vin argentin, où les deux sommelières iront à la rencontre d’oenologues ou winemakers comme on les appelle dans le monde du vin, associés à des vignobles. Alto Las Hormigas, Catena, Sophenia, O. Fournier, Weinert, les grandes maisons de vin font déguster aux sommelières leurs produits et expliquent leur façon de travailler. Un coup de foudre a lieu chez Sophenia où l’oenologue Matias Michelini, qui présente une gamme de produits, charme aussitôt les sommelières par son originalité, mais aussi par la façon de faire aux antipodes de ce que l’on imagine du Nouveau Monde. Au pied de la Cordillère des Andes, dans une maison au cachet et au charme déstabilisants, une autre communion a lieu devant notre lentille et nos yeux bien sûr. Un moment de grâce pendant que nos partageons un repas, le nez planté sur les neiges éternelles.



Un autre artisan saura surprendre Véronique. Hubert Weber, Suisse d’origine, oenologue chez Weinert. Dans la cave de la prestigieuse maison, pas moins de treize vins vont se succéder pour chatouiller agréablement les papilles des deux Québécoises. Une fête matinale dans un décor souterrain entouré de barriques et de cuves. L’après-midi, c’est dans la distillerie dont il est co-propriétaire qu’Hubert Weber présente sa gamme de liqueurs et eaux de vie, dans un édifice qui n’a que cinq ans, mais qui constitue une oeuvre d’art en lui-même. Le sympathique Suisse, qui a des airs de Philippe Starck, réussit une fois de plus à étonner et charmer ses convives.



Puis le jour du retour arrive. Quatorze heures de matériel, plusieurs litres de vin et une quantité affolante de steaks argentins plus tard, nous regagnons nos foyers, heureux d’avoir pu accompagner Véronique dans son périple argentin et impatients de pouvoir continuer de décrire celui qui l’attend pour la conquête du titre mondial.


Bachir Bensaddek
réalisateur et caméraman à ses heures